9 juillet 2008 – Inauguration de la chaire

Lors de la cérémonie d’inauguration de la Chaire M-A-I, le 9 Juillet 2008, Nicole Notat et Bernard Gazier nous faisaient l’honneur d’intervenir sur le thème des restructurations.

 Nicole Notat, présidente de l’agence de notation sociale et environnementale Vigéo, est revenue sur les résultats de l’étude intitulée « La gestion des restructurations par les entreprises européennes »

Les entreprises européennes demeurent en moyenne faiblement engagées dans une conduite concertée de leurs restructurations et peinent à mettre en oeuvre des démarches anticipatrices aptes à contenir les effets défavorables des licenciements pour leurs salariés. Elles respectent toutefois très diversement les objectifs qui peuvent leur être universellement opposables en matière de gestion des restructurations. Là où certaines ne font preuve d’aucun engagement et d’aucune assurance en matière de pilotage des risques associés à la gestion de cette pratique, d’autres font montre d’une réelle volonté de promouvoir ces principes (ex :Swisscom). Les pratiques innovantes privilégient la mise en oeuvre de processus d’accompagnement efficients (programme de mobilité interne et externe, adaptation du temps de travail, formations en vue d’une reconversion…) et la recherche d’une limitation des impacts de leurs projets de réorganisation sur l’emploi et les conditions de travail. Certaines entreprises parviennent ainsi à mener leurs restructurations sans aucun licenciement économique. Quelques pratiques permettent d’illustrer ce principe : – La signature d’un accord mondial entre Rhodia et la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la Chimie, de l’Energie, des mines et des industries diverses (l’ICEM), au travers duquel l’entreprise s’est engagée à informer les salariés et leurs représentants le plus tôt possible, et à discuter avec ces parties prenantes au sein d’un organe de dialogue stratégique des changements organisationnels et de la nouvelle vision stratégique de l’entreprise, – L’engagement pris par BASF de ne procéder à aucun licenciement d’ici 2010 dans le cadre d’un plan de suppressions de 3000 postes en 2007, grâce à une démarche d’anticipation et à une planification des restructurations. D’autres entreprises ont en revanche une gestion plus opaque et moins concertée de leurs restructurations qu’elles mènent en dehors d’un cadre de dialogue social, et sans mettre en place de démarche formalisée d’accompagnement et de suivi de leurs salariés. Comment expliquer ces disparités ? L’appartenance sectorielle et l’origine nationale sont sans conteste des facteurs de différenciation. Les secteurs de la banque, des télécommunications, de l’assurance et de la chimie sont ainsi ceux où le niveau d’engagement moyen est le plus élevé. Les différences de législation, de culture nationale, et de tradition en matière de dialogue social interviennent également pour expliquer l’hétérogénéité des résultats. L’étude démontre toutefois que c’est véritablement l’engagement managérial « individuel » de l’entreprise qui est le facteur clef d’une restructuration maîtrisée. Un dialogue social de qualité ainsi qu’une démarche volontariste de promotion des choix individuels de carrière et de l’employabilité restent ainsi les conditions essentielles d’une gestion des restructurations maîtrisée et respectueuse des standards internationaux.

« Mutations économiques : Quelques objectifs de recherche » par Bernard Gazier (Professeur de Sciences Economiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

La gestion des restructurations est aujourd’hui en Europe associée à des modes de régulation très variés. Pilotée par le marché au Royaume-Uni, par une négociation venant amender le principe du « dernier entré premier sorti » inscrit dans la loi en Suède, par une négociation entre partenaires sociaux intervenant au niveau du « plan social » en Allemagne, cette gestion ne donne pas lieu à une véritable élaboration négociée en France, l’entreprise se trouvant encadrée par le pouvoir de regard des administrations et du juge. Au-delà de la diversité des points d’entrée du contrôle collectif, on peut dégager un certain nombre d’enjeux de recherche. En premier lieu, il existe un écart important entre la sophistication des interventions mises en œuvre par les entreprises, et la nature des conséquences directes et indirectes que ces pratiques entraînent sur les collectifs d’hommes et de femmes touchés. Au passage, on peut regretter que la question de la gestion des mutations économiques soit posée par les dirigeants de manière souvent plus pressante que celle de l’anticipation de ces mêmes pratiques. Un enjeu important est celui du processus de deuil dans lequel les individus doivent s’engager suite à l’interruption souvent brutale de leurs conditions de vie quotidienne (perte de travail, perte de revenus, incertitude quant à leur lendemain, manque de confiance, sentiment de trahison, de « pente à remonter »). Sur ce sujet, comme plus généralement celui de celui de la santé au travail, les connaissances disponibles demeurent très lacunaires. Un autre décalage réside dans l’hypermédiatisation de certains plans sociaux qui contraste nettement avec le silence entourant l’essentiel des autres formes de restructurations. On assiste en outre à un phénomène d’évasion statistique : la part des licenciements pour motif économique avérés est très réduite, en comparaison des autres modes de pertes d’emplois : licenciements pour motif personnel et démissions. Par ailleurs, les pertes d’emplois liées aux restructurations se manifestent généralement de manière brutale et sont concentrées localement, induisant le plus souvent des répercussions importantes sur les activités du réseau des sous-traitants et sur les territoires. Ainsi se pose toute une série de questions relatives à la dispersion des collectifs de travail. Ces différents enjeux, en décalage le plus souvent avec les dispositifs sophistiqués de gestion des trajectoires élaborés par les acteurs managériaux, peu crédibles socialement et mal acceptés, mettent le chercheur dans une position d’accompagnement critique qui, si elle est difficile à tenir, n’en est pas moins nécessaire. Outre leurs déterminants, leurs contours, et leurs répercussions, certaines problématiques spécifiques relatives aux restructurations doivent être abordées par les chercheurs. Celle de l’évaluation tout d’abord : de nombreuses démarches d’évaluations ne sont pas menées jusqu’à leur terme, et beaucoup ne sont pas poursuivies au-delà de 6 mois. Une démarche de systématisation des comparaisons entre le destin des individus affectés et non affectés par les restructurations est indispensable. Celle-ci devra être menée non seulement en élargissant le périmètre étudié (pour y inclure les salariés en CDD, ceux des sous-traitants), mais également en conduisant la réflexion relative aux incidences en termes de trajectoires professionnelles, de pénalités salariales et de problèmes de santé sur le long terme. (Ces incidences entretenant au demeurant des relations de causalité circulaires entre elles). Une étude récemment menée en Suède sur les travailleurs de Volvo et des Mines du Nord sur la période 1986-2006 démontre ainsi que si l’intention collective s’est avérée déterminante, cinq années ont été nécessaires pour en observer les effets. La question des apprentissages et la capitalisation des savoirs autour des « bonnes pratiques » de restructurations est également essentielle. Toutefois, les innovations en matière de restructurations s’avèrent parfois régressives, par exemple lorsqu’elles procèdent par contournement de la loi. Quant à la question de la duplication des « bonnes pratiques », il s’agit en réalité et dans le contexte marqué par une grande hétérogénéité des cadres juridiques, moins de les transférer que de leur trouver des « équivalents fonctionnels ». Enfin, l’organisation des différents niveaux d’acteurs régulateurs (Europe, Etat, territoire…) est cruciale si l’on veut parvenir à articuler de façon cohérente leurs différents niveaux de responsabilités et d’engagement face à ces pratiques d’entreprises et à leurs conséquences tant économiques que sociales.