Table ronde 19 novembre – Les restructurations : entre légalité et légitimité

Table-ronde :

« Restructurations d’entreprise : entre légalité et légitimité »

Organisée par la Chaire MAI de l’IAE de Paris

www.chaire-mai.org

 

Le 19 novembre 2012 à l’IAE de Paris

PDF du compte-rendu

 

Intervenants :  Jean-Pierre Aubert (Délégué à l’évolution des métiers et de l’emploi à la SNCF, et Secrétaire Général de la Chaire MAI), Florent Noël (Professeur à l’IAE de Paris, membre de la Chaire MAI), Alain Braud (Directeur des Relations Sociales, Michelin France), Hervé Dufoix (DRH de l’AFPA), Bruno Dupuis (Conseiller pour les affaires sociales à la mission permanente de la France auprès des Nations Unies à Genève), Christian Janin (secrétaire confédéral de la CFDT, responsable du service « emploi – sécurisation des parcours professionnels »), Maurad Rabhi (secrétaire confédéral de la CGT, en charge des questions d’emploi), Martin Richer (Consultant en Responsabilité Sociale de l’Entreprise).

Jean-Pierre Aubert, secrétaire général de la Chaire MAI, ouvre la table-ronde en insistant sur l’importance de capitaliser les savoirs dans le domaine et de sauvegarder une mémoire vivante. Les différents acteurs parties prenantes des restructurations sont présents autour de la table : direction d’entreprise, syndicalistes, consultants, chercheurs, représentants de l’Etat.

L’importance et la diversité des impacts qu’entrainent les restructurations d’entreprises ne sont plus à démontrer. Ces enjeux posent de fait la question de la légitimité et des conditions de réussite de ces processus. L’entreprise est une organisation aux intérêts souvent discordants, et sa restructuration met au centre des débats la divergence des motivations des acteurs. Tous les participants se sont accordés sur le besoin de réinstaurer une « communauté de destin ». Cette absolue nécessité n’est possible que  par le dialogue et la mise en place d’un climat de confiance. Ces éléments ne peuvent pas émerger au moment de la restructuration mais doivent être anticipés par l’entreprise.

Les débats ont fait ressortir quatre thématiques importantes : la temporalité, la négociation, la diversité des modalités de restructurations et la place/le rôle de la régulation.

Le choc des temporalités

Une restructuration provoque un choc des temporalités. La rapidité du processus de restructuration se heurte au temps long indispensable à la transition professionnelle des individus concernés, au temps long de construction de leur employabilité, au temps long de la formation, etc. Ce choc se cristallise dans la brutalité de l’annonce de la restructuration qui, même lorsqu’elle est pressentie, représente le point d’ancrage d’un vide inquiétant, d’ailleurs souvent relayé par les médias. Tous les acteurs insistent sur les bienfaits de l’anticipation, mais celle-ci ne peut exister qu’en concertation avec les différents acteurs concernés. Le dialogue mis en place dans l’organisation, bien en amont de la restructuration, est à ce titre primordial.

Le processus de négociation

Dans le processus de négociation des restructurations, un problème peut provenir du fait que les acteurs débattent en même temps de la motivation économique de la décision et des modalités de réparation. Or, pour certains des intervenants, différencier ces deux dimensions permettrait d’évoquer en profondeur le motif économique et de fait converger les acteurs sur le diagnostic stratégique de l’entreprise : lorsque toutes les parties prenantes ont compris la justification économique et stratégique des restructurations, il est ensuite plus facile d’organiser une discussion sereine centrée sur les modalités sociales d’accompagnement. Il y a donc des efforts particuliers à faire pour expliquer la stratégie, l’organisation et le processus de prise de décision. Des pistes sont évoquées par plusieurs intervenants : une plus grande transparence dans les stratégies d’entreprise, une meilleure formation des représentants des syndicats (par les entreprises ou les syndicats eux-mêmes), etc. Les accords de méthode auraient pu également, dans leur idée initiale, contribuer à faciliter ce processus, mais ils ont — selon certains intervenants — failli à cette mission et sont devenus souvent des calendriers de fermeture de sites… En revanche, séparer les moments de négociation sur la motivation économique et sur la réparation peut ralentir la mise en place efficace d’un dispositif d’accompagnement.

Derrière la question de la légitimité se pose évidemment la question de la réussite des processus de restructuration, en tenant pour acquis le fait qu’une décision comprise par les différents acteurs a plus de chances d’être appliquée dans de bonnes conditions.

Les différentes modalités de restructuration

La diversité des situations de restructurations a été soulignée à plusieurs reprises : modalités d’exécution, formes des organisations restructurées, types d’acteurs concernés, etc. Quelques chiffres récents attestent de cette diversité et de l’image parfois trompeuse qu’en donnent les médias : les Plans de Sauvegarde de l’Emploi et les Licenciements pour Motifs Economiques (LME) sont les principaux arbres… qui cachent la forêt. Notamment, les LME représentent moins de 5% des entrées au chômage en 2011 selon les statistiques toutes récentes de la DARES. D’autres modalités sont aujourd’hui largement utilisées. Les plans de départs volontaires retiennent de plus en plus l’intérêt des praticiens. Pourtant, plusieurs limites ont été soulignées, notamment le risque de perte de compétences rares ou critiques au sein de l’organisation (celles qui auront le moins de difficultés à retrouver un emploi après le départ), mais aussi les impacts potentiellement désastreux sur le territoire. Les ruptures conventionnelles (RC), mises en place depuis 2008 en France, sont un autre exemple éloquent : le chiffre d’un million de RC vient d’être atteint (en moins de 5 ans), contre 0,8 millions pour les LME sur la même période. Si ces pratiques permettent pour certains d’améliorer l’acceptabilité sociale des diminutions d’effectif, le débat reste vif sur l’intérêt, les risques et la nécessité d’encadrer davantage ce type de pratiques, plans de départs volontaires et ruptures conventionnelles.

Par ailleurs,  les restructurations dépassent largement les frontières des seules entreprises industrielles, bien que celles-ci soient les plus médiatisées. Ainsi, le secteur associatif, les petites entreprises, les entreprises publiques sont touchées par d’importantes mutations avec suppressions d’emplois.

La place de la régulation

Ces différentes tensions en présence appellent à des régulations. Qui doit réguler quoi ? Les acteurs ont pu développer leur avis divergents sur le sujet. L’Etat, par la voie juridique, a été largement évoqué. Dans les pratiques, le droit pose la question suivante : comment normaliser des comportements et des environnements aussi différents que ceux qui sous-tendent  les restructurations ? Le droit du travail cherche à prévenir les abus concernant la rupture de la relation d’emploi. Deux options existent : l’option individuelle dans laquelle le salarié se met d’accord avec son employeur, cette option posant la question de l’efficacité de la négociation individuelle ; l’option collective, qui intègre des enjeux démocratiques. La séparation entre la motivation économique et la réparation suite aux restructurations a été évoquée sous l’angle juridique. La concomitance des livres trois et quatre dans le cadre d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi aurait entrainé, selon certains acteurs, un mélange des genres entre la motivation de la décision et ses effets.

La question d’éventuelles formes alternatives de régulation est restée ouverte : Etat ? Tierce personne ? Autre ? La conclusion de Jean-Pierre Aubert a permis de présenter une piste, dans laquelle la Chaire aurait une place importante : la Chaire MAI pourrait être un lieu pour capitaliser la mémoire et les connaissances dans le domaine, évaluer les dispositifs mis en place, mais aussi être force de propositions et d’intervention auprès des différentes parties prenantes. L’actualité a montré que l’acteur public ne peut pas être le seul à porter cette responsabilité. Les formes que prendra la nouvelle organisation de la chaire restent à définir avec les acteurs en présence.